Bonjour, pouvez-vous vous présenter (une nouvelle fois) à nos lecteurs?
Bonjour, je suis Stéphane Bahoken, je compte entre 68 et 70 sélections. Je suis entré en équipe nationale en 1975, j’en suis sorti en 1986, si mes souvenirs sont bons.
Votre plus belle expérience en équipe nationale, c’était la Coupe du Monde 1982. Qu’est-ce que vous retenez de cette participation, et sur le plan personnel et sur le plan collectif ?
D’abord, moi personnellement, j’ai l’impression que nous les gens de 82, on ne sait pas et on ne s’intéresse pas à ce que nous avons fait, pourtant, c’est nous qui avons ouvert la voix pour cette Coupe du Monde. On ne nous entend pas, on ne nous écoute pas. C’est vrai que nous avons été décorés et on a eu un peu d’argent, je dis bien un peu d’argent et ça s’est arrêté là. Et quand vous faites par exemple la comparaison avec les autres équipes, les gars de 90 en l’occurrence qui ont été jusqu’en quart de finale, ils ont perçu d’abord 30 millions à l’époque, ensuite, ils ont eu des logements. Moi personnellement, ça ne me gêne pas mais ça me gêne par rapport au panel qu’on avait à l’époque. Certains de mes ex coéquipiers sont aujourd’hui dans la misère, on pouvait au moins penser à eux mais non, ça ne se fait pas, on oublie 82 alors qu’on a fait un sacré boulot. C’était la toute première fois qu’on se qualifiait pour la Coupe du Monde.
Quelle était l’ambiance, est-ce que ça vivait bien en sélection ?
L’ambiance était bonne, à notre époque, il n’y avait pas l’hypocrisie qui règne en ce moment. Sur le plan footballistique même, les uns jouaient pour les autres. Ce n’est pas comme aujourd’hui où s’il y a quelqu’un de bien placé, tu préfères frapper directement que de lui passer le ballon. C’est ce qui se passe au jour d’aujourd’hui. A notre époque, c’était différent, nous, on s’était mis dans la tête qu’on jouait pour le peuple, c’est pour cela qu’on avait de très bons résultats. L’aspect financier, na ne nous intéressait pas trop.
On a quand même remarqué que votre équipe ne marquait pas beaucoup, puisqu’en trois matches, vous avez eu trois scores de parité et un seul but inscrit. Qu’est-ce qui a manqué à votre équipe pour se qualifier pour l’étape suivante ?
Beaucoup ont remarqué que si on avait continué avec notre entraineur, celui qui a qualifié le pays pour la Coupe du Monde, je crois qu’on aurait fait de très bons résultats. On nous a amené un français qui nous a ramené tout seul, Milla en attaque. Vous allez le remarquer le jour où vous verrez ces matches, que Milla était seul devant. Il n’avait pas de soutien et comment pouvait-il marquer ? Milla marquait des buts grâce à des gens comme moi, comme Ebongue, Abega, Mbida. Mais là, il nous avait dit de jouer carrément en défense, c’est-à-dire que lorsqu’on a un ballon, même si Milla est seul, on le lui remet pour qu’il se débrouille. Les occasions, on en a eues, peut-être deux ou trois, on a mis une au fond, c’était contre l’Italie, on a fait 1-1 et puis, c’était tout.
Cette option de l’entraineur pour la défensive ne résultait-elle pas de la peur de repartir du Mondial avec une valise de buts ?
Nous, la peur ? Jamais ! Demandez même aux joueurs italiens, ils vous le diront. On se foutait d’eux, on chantait pour les intimider mais on n’avait pas peur. Le seul match où on a eu peur (pas peur de jouer), c’était le match face au Maroc, rencontre retour des éliminatoires du Mondial à Yaoundé. On a eu parce que quand nous sommes entrés, le stade était plein, dehors, il y avait encore des gens qui voulaient entrer, on avait peur de décevoir le peuple. Et en face aussi, ce n’est pas parce qu’ils s’étaient renforcés qu’on a eu peur… Quand nous sommes allés au Maroc, on se baladait…
Depuis l’arrivée de Samuel Eto’o, il pense aux anciens footballeurs en les nommant à divers postes de responsabilité. Sauf que beaucoup lui reprochent de ne se limiter qu’aux joueurs de sa génération. Comment appréciez-vous les premiers pas de cet ancien lion à la tête de la fédération camerounaise de football ? Seriez-vous prêt à accepter de travailler à ses côtés s’il venait à vous confier un poste de responsabilité ?
Vous savez, beaucoup de gens me connaissent, beaucoup de gens savent ce que j’ai fait pour le football dans notre pays, même si je n’ai pas entrainé des sélections nationales. Je pense qu’il ne faut pas en vouloir à ce monsieur parce qu’il est en train de faire pour moi, un excellent travail. Il peut commencer par prendre des jeunes et tout cela mais, ça ne veut pas dire qu’il a oublié les gars de 82, de 84… Il va pas à pas.
Depuis son arrivée en sélection, Stéphane Bahoken a du mal à s’imposer. Pensez-vous qu’à un moment donné, il a été victime d’une injustice, comme vous à votre époque ?
Quand vous n’alignez pas quelqu’un, vous voulez qu’il fasse comment ? Prenez seulement l’exemple du match de la remontada contre le Burkina Faso en Coupe d’Afrique des Nations, quand on l’a fait rentrer, c’est lui qui a été à l’origine de la remontada là. Ce n’est pas parce que c’est mon fils que je dis cela. Ce garçon, c’est un battant. Quand il entre sur le terrain, il joue exactement comme moi quand je rentrais. On ne peut pas forcer un entraineur de sélectionner un tel ou un autre. Même si aujourd’hui, il n’est pas appelé en sélection, je lui dirai de continuer simplement à se battre. Chaque fois, je lui dis : fiston, pour que tu sois appelé en sélection nationale, il faut que tu marques des buts, tu es avant-centre, c’est ça, c’est tout simplement ça.
Qu’est-ce qui manque pour qu’il soit définitivement intégré en sélection ?
Vous allez remarquer que nous, on ne fait pas trop de publicité pour lui. Moi, je ne peux pas procéder de cette manière. J’ai eu certaines gens qui sont venus me voir et qui ont demandé de l’argent pour qu’on le fasse jouer, j’ai dit qu’avec moi, ça ne marche pas comme ça. Il est là mais si vous le sélectionnez, vous verrez ce qu’il fera. Quand il est entré contre le Burkina Faso, vous avez vu ce qu’il a fait ?
Sa signature en Turquie où il perd un peu de visibilité ne vous inquiète pas pour sa place en sélection ?
Non, pas du tout. C’est quelqu’un qui a le même état d’esprit que moi. Si on le sélectionne, il va pour travailler, il va pour jouer pour la nation. Si vous ne l’appelez pas, si vous ne l’appelez pas, il reste dans son coin.
En tant qu’ancien footballeur, est-ce vous qui avez imposé le football à votre fils ?
Ça a commencé comme un jeu d’enfant. L’adjoint de Rigobert Song, le français Sébastien Migne, demandez-lui s’il me connait, il va vous dire. Nous avons entrainé des équipes amateurs à Cannes. Lui, était à Mougins et moi, à Grasse. On va jouer un match, j’amène Stéphane avec moi, il a quatre ans et demi ou cinq ans. Il y a le président d’un club qui vient, il voit les jeunes qui jouent. Il dit : « monsieur Bahoken, on a besoin de votre enfant ». Je lui dis que mon fils n’a jamais joué au football et le président me dit qu’il a besoin de lui juste pour combler le trou, j’ai dit OK. Il est allé chercher la godasse, le short et les maillots et l’a fait jouer. Le monsieur, il entre, au lieu de marquer le but dans le camp adverse, il cherche à aller marquer plutôt dans son propre camp. C’est là où je l’appelle pour lui indiquer où il doit marquer… Il s’est amusé très bien ce jour-là et après, à la fin du match, je lui demande : tu as aimé ? Il me dit : oui. Il me dit : je veux jouer au football et je lui dis : « Mais, il y a l’école ». Le lendemain, je suis allé l’inscrire à Grasse. Là-bas, il a continué à s’épanouir et il marquait des buts et c’est comme ça que quand il a eu 13 ans, l’OGC Nice est venue le chercher… Et moi, je l’entrainais aussi. Chaque fois qu’il m’appelait Papa, je disais : “tu appelles qui papa ? Ici, il n’y a pas de papa, appelle-moi coach”. J’ai été très dur envers lui, c’est pour ça qu’il a réussi.
Il a choisi d’évoluer au poste d’avant-centre comme vous. Est-ce que c’est vous qui lui avez suggéré d’évoluer à ce poste ?
J’ai dit à Stéphane de jouer comme ailier, il m’a dit qu’il préfère jouer avant-centre. Je lui ai dit : il y a des coups, il y a des responsabilités lorsqu’on évolue à ce poste parce que quand l’équipe ne gagne pas, ça retombe sur toi l’avant-centre. Si tu ne marques pas, on dit que tu n’as pas marqué. Il se démerdait. Au centre de formation, pendant trois, quatre ans, il a été toujours meilleur buteur… A suivre