Comment se porte Martin Ndtoungou Mpile ?
Martin Ndtoungou Mpile se porte bien. Après la compétition, j’ai pris beaucoup de temps pour me reposer ; d’abord parce qu’on s’est rendu compte qu’on ne dormait pas suffisamment, on était toujours en train de réfléchir, en train de penser à l’entrainement du lendemain, en train de penser au match. C’est par la suite qu’on se rend compte que vraiment, on a besoin de dormir, qu’on a besoin de se reposer.
Après ce CHAN qui vous a beaucoup fait dépenser en énergie, comment est-ce que Martin Ndtoungou Mpile occupe ses journées ?
Pour le moment, c’est vraiment les affaires privées : ma famille, de temps en temps, je fais un tour au village, j’ai également de petites activités là-bas. Je retrouve enfin les amis avec qui je fais le 2-0, et puis, on bavarde, on essaie de se refaire une santé morale.
On va replonger dans la compétition. Coach, on a eu deux temps forts de votre séjour à la tête de cette équipe : on a eu les matches amicaux dont les résultats n’étaient pas du tout attrayants et on a eu la compétition où les résultats ont commencé à venir. Cela a été dû à quoi ? Est-ce que ça signifie que les matches amicaux ne servaient qu’à roder la machine ? Est-ce qu’il fallait cacher le jeu de l’équipe pour ne montrer son vrai visage que pendant la compétition ?
En fait, on avait quelques soucis pendant les matches de préparation parce que l’effectif n’était pas encore complet. Donc, on a joué avec un effectif pas du tout satisfaisant mais on savait que lorsqu’on aurait l’effectif au complet, les matches devaient changer de visage. Pour moi, j’étais presque certain qu’on allait être meilleurs à la compétition par rapport à la préparation.
Coach, avec un peu de recul, qu’est-ce que qui aura manqué au Cameroun pour pouvoir aller au bout de cette compétition ?
Je vais vous dire que le niveau de notre football local y est pour beaucoup parce que tous les meilleurs joueurs partent. Les joueurs qui restent, ils sont relativement bons, je dirais qu’ils sont moyens. Donc, on est obligés de faire avec cela. Et la preuve d’ailleurs, c’est que depuis bientôt deux décennies, nos clubs n’arrivent pas au sommet du football africain. Pourquoi ? Parce que tous les meilleurs partent et il reste des joueurs très moyens pour le football local et c’est difficile de faire concurrence avec les meilleurs pays africains.
Comme le Maroc, double vainqueur de cette compétition…
Absolument, le Maroc avec la RDC, la Tunisie… C’est difficile de faire la concurrence avec ces pays-là.
Pendant cette compétition, quels sont les joueurs qui vous auront marqué, quelles ont été les satisfactions pour vous ?
Parlant des satisfactions, le gardien a été bon. En dehors des derniers matches, la défense a également tenu de façon globale. Le milieu aussi. Les déceptions, c’est beaucoup plus au niveau de l’attaque. L’attaque n’a pas répondu toujours présente. Voilà un peu les leçons qu’on tire dans les performances de ces joueurs –là.
Est-ce qu’il y a des joueurs que vous avez regretté d’avoir amenés à cette compétition ?
J’aurais attendu plus de Zoua, plus de Ndjeng parce que je les connais depuis de longues dates, je connais leurs capacités par ailleurs, je me suis rendu compte qu’ils n’ont pas répondu présent, j’attendais plus d’eux. Les autres, les jeunes, ils se sont battus avec leurs armes, avec leur potentiel, ils ne pouvaient que donner que ce qu’ils avaient à ce moment-là.
Parlant de Zoua, il a joué un seul match. Finalement, est-ce parce qu’il ne donnait pas satisfactions aux entrainements qu’il n’a plus été aligné ?
En fait, il avait des problèmes d’ordre musculaire et il n’arrivait pas à tenir le rythme qu’on souhaitait. J’ai voulu des séances avec le préparateur physique, on est arrivés à cela. C’était un risque de le mettre dans cet état-là, c’est pour ça que j’ai dit qu’en le sélectionnant, j’espérais avoir le Zoua qu’on connait mais pendant la compétition, à cause des problèmes d’ordre musculaire et articulaire, il n’a pas pu s’exprimer.
Quel est le match qui vous a le plus satisfait durant cette compétition coach ?
C’est sûr que c’est le match contre la RDC parce que ce match était un peu plus complet que les autres matches. On a vu les gars tenir un match durant toute la partie, même après avoir été menés, ils sont revenus au score, ils ont été courageux, ils se sont organisés, jusqu’à la fin du match, on a vu une équipe assez bien organisée et qui a mérité sa victoire.
Revenons sur le match face au Maroc. S’il fallait changer quelque chose, ce serait quoi, pour que le Cameroun puisse opposer une véritable résistance aux Lions de l’Atlas ?
S’il faut revenir sur ce match, il faut des joueurs qui sont à la hauteur du Maroc parce que là, le Maroc nous a dominés sur tous les plans et c’est pour ça que j’ai dit tout à l’heure qu’il faut qu’on relève le niveau de notre football local, qu’on puisse garder les bons joueurs, ça fait que l’équipe A’ sera très compétitive si on arrive à garder nos talents. Vous êtes sans ignorer que chaque année, il y a une hémorragie de nos joueurs, chaque président a envie de placer les joueurs, les jeunes et tout ça, cela appauvrit notre football local.
Coach, l’autre aspect qui vous a fragilisés pour atteindre l’objectif final, c’est l’absence de championnat. Est-ce que vous avez réalisé que c’est compliqué de gagner une compétition comme celle-là sans un championnat qui se joue ?
Absolument ! C’est dans le championnat qu’un joueur acquiert tous les réflexes, acquiert tous les automatismes. C’est dans le club que le joueur se prépare en fait. Lorsque le sélectionneur prend les joueurs, il cherche des joueurs déjà prêts pour jouer. Le temps qu’il reste avec les joueurs lui permettent juste de mettre les stratégies en place. Mais là, quand il n’y a pas championnat, la visibilité n’est pas évidente au niveau de la sélection. C’est pour cela qu’on a voulu absolument que le championnat reprenne et ça, ça concerne également les autres sélections parce que sans compétition, c’est assez difficile de faire une bonne sélection.
Coach, entre cette expédition-ci et celle que vous avez conduite en 2016 au Rwanda, qu’est-ce qui a été plus difficile. Vous préférez quelle génération parmi les deux ?
Je préfère cette génération parce que j’ai eu à travailler à fond, ça m’a permis de me redécouvrir une nouvelle facette. Il y avait beaucoup de difficultés parce que les autres compétitions ont été relativement relaxes mais là, il fallait aller au fond de ses tripes pour trouver les solutions. C’est en ça que j’ai trouvé cette compétition plus intéressante.
Comment avez-vous senti vos rapports avec la presse qui ne vous lâchait pas pendant cette compétition ?
Je m’attendais à cela. C’est un peu cela aujourd’hui, elle est trop exigeante. C’est vrai, les camerounais veulent les résultats, les bons résultats. Par moment, elle a été compréhensive, par moment aussi, c’était brutal mais, on fait avec. Vous savez, partout, il y a toujours des pics qu’on lance aux entraineurs quand ça ne va pas mais on finit par comprendre que ce n’est pas très méchant mais c’est parce que tout le monde veut le résultat.
Merci parce que vous avez toujours gardé votre flegme lorsque les pics arrivaient…Mais coach, il y a aussi un autre aspect à savoir : les visites dans la tanière. Il y a eu des interdictions de certaines personnalités, est-ce que cela a aussi un tout petit peu gâché la bonne ambiance dans le groupe ?
Disons que de façon officielle, il y avait des visites autorisées. Maintenant, s’il y a eu des infiltrations, vous savez que les camerounais, leur équipe, ils veulent toujours être à côté. Vous avez beau dire aux gens : pas de visite mais ils viendront toujours. A commencer par vous-mêmes. Les journalistes, vous aimez bien avoir les joueurs avec vous, vous aimez avoir les encadreurs mais je pense que ce n’était pas vraiment une des causes fondamentales qui ne nous ont pas permis d’aller au bout. Mais, c’était plus dans le jeu. C’est là où on a eu beaucoup de problèmes pour asseoir le jeu, pour pouvoir arriver au bout des stratégies ou tout ce qu’on prévoyait. Les visites, elles étaient quand même régulées et puis, il y avait la sécurité qui veillait à ça : il y avait un commissaire, il y avait un lieutenant. Je crois que ça n’a pas vraiment perturbé le groupe.
Coach, est-ce que vous avez le sentiment que le peuple camerounais était avec vous et que vous avez reçu l’accompagnement sans fin des pouvoirs publics et de l’instance faitière du football camerounais ?
Je crois que tout le monde a essayé de donner le meilleur de lui-même pour accompagner cette équipe. A commencer par les responsables. J’ai vu le Ministre chaque jour aux entrainements, chaque jour au match, il a été vraiment autour de l’équipe, il a accompagné l’équipe. Le président de la FECAFOOT était aussi présent tout le temps. Maintenant, le public est venu parce que le public avait soif de voir des matches de football et j’ai senti que le public était derrière son équipe, au-delà même des matches parfois mitigés, ils étaient toujours là. J’ai vu le public à Douala, j’en ai vu ici à Yaoundé, même à Limbe lors du match face au Maroc.
Au-delà de votre statut d’entraineur, vous êtes aussi instructeur. Comment avez-vous trouvé le niveau de la compétition de façon générale ?
J’ai trouvé le niveau très relevé et ça fait en sorte que la compétition soit très appréciée. A la fin, tous les techniciens sont d’avis que cette compétition avait un très bon niveau, de belles équipes et de bons joueurs. Pour moi, je pense que c’était un CHAN vraiment très intéressant sur le plan sportif et puis, sur l’engouement populaire, je crois que le Cameroun a laissé une très bonne image.
Est-ce qu’après ce CHAN, vous continuez de suivre vos joueurs ?
Je suis en contact à distance. Le championnat a repris. On essaie de suivre. Coton qui est parti jouer, on attendait un bon résultat mais je pense que ce n’est pas mauvais, Coton peut revenir au niveau des autres équipes de son groupe. Là également, je vais continuer à regarder les rencontres du championnat, ça va me faire une image, en dehors des matches du CHAN.
Etant toujours en fonction, est-ce que vous avez déjà la stratégie pour pouvoir préparer le prochain CHAN prévu en Algérie l’année prochaine ?
Pour le moment, il faut encore regarder les joueurs. Le championnat a repris, on est à la première journée. Je pense que c’est d’abord regarder qui est là et puis, peut-être d’ici la dixième journée, évaluer déjà les joueurs. Envisager quelques chose, il n’y a rien de précis.
Que répondez-vous aux techniciens qui disaient sur les réseaux sociaux que votre équipe avançait sans convaincre ?
Vous savez, les conditions dans lesquelles on a préparé cette équipe n’étaient pas les meilleures. Comme on dit souvent, la critique est très aisée mais je pense que lorsqu’on est sur le terrain, la réalité est toute autre. J’ai essayé de trouver des solutions avec cette équipe j’ai essayé de faire avancer l’équipe mais je crois qu’atteindre les demi-finales dans toutes ces conditions, c’est un résultat satisfaisant quelque part. J’aurais bien voulu atteindre la finale, j’étais à côté de la finale mais en face, il y avait de très bonnes équipe, je crois qu’on est arrivés au bout de notre performance… Mais sur le plan de la déontologie, je les invite à rester vraiment solidaires. Ils appartiennent à un corps, on ne crache pas sur son propre corps, qu’ils soient un peu plus responsables.
S’il vous était demandé de noter votre performance personnelle dans ce CHAN, quelle serait votre note ?
Peut-être que c’est mes autres collègues instructeurs qui pouvaient le faire. Vous savez, c’est difficile de se juger comme ça. Bon, je dis, je me suis battu, je vous ai dit tout à l’heure, je suis allé à fond. Maintenant, vous allez trouver la note qui correspond à tous les efforts que j’ai faits. Le plus important, c’est les efforts qu’on a faits et le niveau qu’on a pu atteindre au cours de la compétition. Pour le Cameroun, ce n’était pas bon de sortir au premier tour par exemple. Aujourd’hui, on est dans le dernier carré pour le CHAN. Je pense qu’on peut penser à l’avenir. Est-ce qu’on peut faire mieux à l’avenir ? Je pense que c’est cela qu’il faut avoir dans les perspectives.
Est-ce que vous avez des retours positifs des organes qui sont au-dessus de vous ?
Partout où je passe, les responsables me disent : vraiment, vous vous êtes bien battus par rapport à l’environnement, par rapport aux conditions de la FECAFOOT, ainsi de suite. Les responsables pensent que j’ai pu mener le bateau Cameroun quand même à bon port.
Il y a quand même dans liste des présélectionnés des pour le prochain stage des Lions séniors, au moins un joueur du CHAN, est-ce un motif de satisfaction pour vous ?
Il y en a plus, il y a Haschou, il y a Martin Ako Assomo. C’est déjà bon qu’ils soient là, ça signifie qu’il y avait un peu de qualité également dans ce groupe s’ils ont pu accéder à l’équipe fanion. Je pense que c’est aussi une satisfaction.
Vous avez hérité de l’équipe dans un contexte compliqué, à deux mois du CHAN. Beaucoup prédisaient un échec cuisant. Est-ce que vous avez aujourd’hui le sentiment d’avoir cloué le bec à vos détracteurs, ceux qui ne croyaient pas en votre équipe ?
Evidemment, ils sont obligés de se taire. La réalité en face, comme je l’ai dit tout à l’heure, on a pu faire un bon premier tour, on a fait des quarts de finale, on est arrivé en demi-finales. Ces résultats répondent à leurs préoccupations. Ils ont pensé qu’on ne pouvait pas le faire mais moi, je croyais fermement qu’on pouvait dépasser le cap des quarts de finale.
Pendant le CHAN, on a aussi beaucoup parlé de l’’ambiance au sein de la tanière avec notamment beaucoup de commentaires sur l’omniprésence de Monsieur Ngweha Ikouam dont beaucoup ne comprenait pas le rôle. Quelle place occupait-il au sein du staff technique ?
En fait, il était superviseur avec des tâches bien révolues à un superviseur. Il ne saurait remplacer un entraineur autour de l’équipe. Parfois, les interprétations ont été largement commentées mais en réalité, il ne m’a pas empêché, à aucun moment de suivre le programme qui était mis en place par le staff technique.
On vous a vu échanger aussi les amabilités avec le coach congolais Florent Ibenge. Aujourd’hui, vous êtes pratiquement sa bête noire pourtant c’est un entraineur qui fait un très bon travail. Est-ce que c’est une fierté pour vous de pratiquement gagner Florent Ibenge à chaque fois ?
En fait, ce n’est pas ça l’objectif. On réussit des matches contre la RDC mais il est un ami, on se connait depuis de longue date, on partage les mêmes avis sur le football. Mais si j’arrive toujours à le vaincre, ça, c’est sur le plan sportif, on garde de très bonnes relations. Et puis, j’apprécie beaucoup le travail qu’il fait. Il fait un travail énorme, dans des difficultés également mais je pense que c’est un bon entraineur et quelqu’un de bien.
Beaucoup de choses ont été dites sur vous avant et pendant ce CHAN. Certains sont même allés jusqu’à vous accuser de marchander des places. Que répondez-vous à ces allégations ?
J’ai déjà dit, j’ai une longue carrière et je n’ai jamais mis l’accent sur ce genre de considérations. Je pense qu’à travers mon statut, j’aide les jeunes footballeurs. Pour moi, je ne peux pas marchander des places parce que d’abord ce n’est pas honnête pour un entraineur et de deux, c’est indécent. Vous ne pouvez pas prôner l’excellence, vous ne pouvez pas prôner le travail et puis, en même temps aller dans ce genre de choses. Après trente ans dans le football, je pense que tous sont comme mes fils mais je ne saurais être dans ce genre de considérations.
Vous avez été, dans le staff technique qui a remporté les Jeux Olympiques en 2000. Vous avez permis au Cameroun d’atteindre les demi-finales du CHAN. Quel est votre plus grand rêve actuellement, Martin Ndtoungou Mpile ?
Le rêve d’un entraineur, c’est de gagner des trophées, de gagner des compétitions. Aujourd’hui, j’aurais bien voulu aller jusqu’au bout de ce CHAN, ça m’aurait fait plaisir d’être champion d’Afrique mais là…
Vous êtes champion olympique…
Oui, mais ce n’est jamais de trop de gagner autre chose. S’il m’arrive de continuer dans cette fonction là, mon rêve, c’est de gagner, surtout, de gagner et puis de donner satisfaction aux camerounais.
Interview réalisée par Wiliam Tchango et Léger Tientcheu